Par le passé, le chamane se trouvait au centre d’une petite communauté indigène. Souvent isolée, elle s’imaginait être au centre du monde et le chamane et ses mythes étaient le seul lieu d’attache. Mais le monde a changé et la communauté est devenue planétaire !
Jusqu’à peu, le chamane était le cœur de la communauté indigène qui intégrait les esprits, les mythes, la matière et les âmes. Il accumulait le savoir d’une expérience transmise depuis des générations. Il accomplissait des « vols extatiques », non pas pour son propre bénéfice, mais pour préserver la relation entre le monde de l’humain et le monde surnaturel, pour lier des contacts avec les esprits et revenir porteur de leur sagesse et de leurs pouvoirs de guérison.
De nos jours, beaucoup de ceux qui se font appeler chamanes, n’appartiennent plus à une culture ou à une communauté partageant cette perspective chamanique. Ils se rattachent plutôt à la génération, définie par le New Age, de ceux qui sont en recherche de développement personnel.
Alors que le chamane indigène traditionnel est dépositaire d’un savoir accumulé au fil des générations et d’un apprentissage qui pouvait prendre plusieurs dizaines d’années, le chamane d’aujourd’hui se contente d’une formation très sommaire et manque terriblement d’enracinement dans un mythe et une tradition trop revisitée. Il se contente d’une connaissance livresque, tirée d’expériences et d’études, la plupart du temps, faites par des anthropologues qui ont été confrontés au chamanisme, sans jamais se confronter lui-même au terrain. Pire, certains nouveaux chamanes croient qu’ils n’ont aucunement besoin d’un maître en chair et en os, alors que tous les fondements du chamanisme se sont toujours établis sur la transmission orale d’un plus ancien.
La problématique qui rend le terme de « chamane » complexe dans son appréciation, provient de l’amalgame de toutes les images que nous avons des différentes sociétés chamaniques de par le monde. L’incroyable diversité des expériences chamaniques rend plus difficile la distinction entre un chamane guérisseur, un chamane rêveur, un chamane sorcier, un chamane prêtre.
Si ces délimitations n’avaient pas d’importance dans des sociétés indigènes traditionnelles, car le chamanisme était au cœur de leur existence, l’usurpation moderne du titre n’a plus grand chose à voir avec une quelconque culture. Comment alors accorder le titre de chamane à des hommes qui se le sont donné eux-mêmes ?
Ceux qui cherchent à manipuler le monde quotidien en s’immisçant dans le monde des esprits pour pouvoir en rapporter des pouvoirs supplémentaires, ne sont que des chamanes de cupidité avec une soif d’égo qui ne peut les amener que vers des travaux maléfiques. Le pouvoir chamanique est à la disposition du chamane qui pourra, de sa propre volonté, faire le bien ou le mal.
Les nombreux rôles du chamane d’autrefois ne pourront plus jamais être joués dans toutes leurs variations, le monde ayant trop changé. Mêmes les sociétés tribales qui ont su, pour partie, résister à l’appel du monde moderne, se trouvent confrontés avec de nouveaux défis. Aucun peuple d’aujourd’hui ne peut s’offrir le luxe de l’isolement.
S’ils peuvent encore exister, les chamanes de notre monde moderne doivent s’affranchir de la vue trop limitée du passé et transcender les barrières culturelles et ethniques. Peut-être certains y parviendront-ils ? Quand aux autres, il est préférable qu’ils mettent leur savoir au profit d’expériences plus limitées : docteurs, psychothérapeutes, enseignants, artistes, écrivains, prêtres.
Le défi qui attend le chamane d’aujourd’hui, s’il faut vraiment qu’il y ait des nouveaux chamanes, va au-delà de l’éthique, au-delà de l’engagement et de la responsabilité écrasante.