Quand on sait ce que représente aujourd’hui la destruction des forêts tropicales, il est fort probable que les chamanes d’Amazonie ou d’Océanie soient des protecteurs de la botanique et la mémoire de la science des plantes. Bien avant que les Occidentaux découvrent tout le potentiel de la pharmacopée tropicale, les chamanes avaient découvert et étudié des substances aussi variées que la Pilocarpine, la Digitoxine, l’Atropine, la Morphine, la Cocaïne ou la Quinine.
Les ventes annuelles mondiales de produits pharmaceutiques dérivés de plantes sauvages, s’élèvent à plus de 25 milliards de dollars. C’est le plus gros potentiel économique de l’ethnobotanique. La majeure partie de ces substances a été initialement découverte par les guérisseurs traditionnels indigènes, des chamanes qu’on voudrait encore regarder comme des sauvages intellectuellement diminués.
Par exemple, 70 % des plantes connues pour leurs propriétés antitumorales proviennent des forêts tropicales où la médecine indigène traditionnelle les avait déjà détecté. En Amazonie, seulement 1 % des plantes de la forêt ont été étudiées en laboratoire. Il serait stupide de vouloir approfondir la connaissance de cette « usine pharmaceutique vivante », sans consulter les chamanes indiens qui sont les premiers ethnobotanistes de la région. Voilà des millénaires, des hommes et des femmes ont pénétré dans cette forêt, et pour survivre, sans disposer de la technologie pour la transformer, ils ont inventé un mode de vie qui a choisi de vivre avec, plutôt que contre. En Océanie, dans les grandes forêts originelles d’Indonésie, on retrouve les mêmes caractéristiques.
C’est aujourd’hui une chance inespérée pour l’homme. Les découvertes faites sur le plan intellectuel par les indigènes, donnent à penser que le défi ultime de l’ethnobotanique ne consistera pas à identifier à tout prix et à extraire les produits naturels de ces plantes, mais plutôt à élaborer une manière profondément différente de vivre avec la forêt.
Prenons le cas des Waorani, une tribu de l’est de la forêt amazonienne de l’Equateur. Leurs chamanes s’identifient à la forêt tropicale, tant sur le plan psychologique que cosmologique. Comme ils dépendent de leur environnement pour leur nourriture, ils ont développé des talents de naturalistes et de biologistes surprenants :
Confrontés à toutes ces connaissances, on peut se demander si les scientifiques occidentaux ne sont pas passés à côté de chercheurs extrêmement doués qu’ils n’ont même pas pris le temps de comprendre.
Prenons un nouvel exemple de notre ignorance et de la supériorité des indigènes : les chamanes d’Amazonie enrobent leurs flèches de curare pour la chasse et consomment l’Ayahuasca hallucinogène lors de leurs rituels. Ces deux préparations bien connues proviennent de lianes différentes, parmi des centaines d’espèces de lianes poussant dans la forêt. Toutes les deux ont leurs substances actives dans l’écorce de la plante. Pourtant les indigènes ont su les identifier et mieux, déterminer l’élaboration des produits, qui fait appel à un processus de préparation excessivement complexe. Si la procédure de râper, chauffer, filtrer, est en soi banale, c’est le processus expérimental qui a originellement conduit à la réalisation des substances, qui est extraordinaire.
Les chamanes des forêts tropicales méritent très certainement le titre de chercheurs en botanique, et leurs connaissances sont les fruits d’une stratégie d’adaptation, mais aussi d’une sensibilité cosmologique qui prend racine dans leur lien inné avec l’Univers.