C’est l’anthropologue français Claude Lévi-Strauss qui, le premier, fît remarquer que les chamanes étaient proches de la psychanalyse dans l’efficacité symbolique qu’ils déploient dans leurs séances de guérison. Une analyse objective, à la différence que, dans le chamanisme, c’est le praticien qui parle, ou plutôt qui psalmodie les incantations, et c’est le patient qui écoute.
Dans un rituel de guérison chamanique, il est incontestable que l’effet placebo est un des composants de la séance. Rendre possible et acceptable pour l’esprit un rituel qui va soulager le corps qui ne supporte déjà plus la douleur, est une prouesse du chamane mais aussi de l’autosuggestion du patient.
La mythologie chamanique est avant tout une tradition acceptée par tous : le malade y croit, la communauté y croit, le chamane y croit. Les esprits protecteurs et les esprits malfaisants font partie d’un système cohérent qui fonde la conception indigène et fixe la cosmologie de l’Univers chamanique. Le malade les accepte et ne les remet pas en doute. Au contraire ! Il guérit. Et s’il ne guérit pas, c’est que les esprits malfaisants étaient trop puissants, ou qu’ils s’étaient infiltrés dans le corps du patient depuis trop longtemps.
A l’inverse, dans nos sociétés occidentales, nos malades ne guérissent pas forcément parce qu’on leurs explique les microbes et les virus et qu’on invoque les désordres qu’ils provoquent. On atteint là le paradoxe de deux conceptions de société : les microbes existent et les esprits n’existent pas.
Le rôle de l’incantation proprement dite de la cure chamanique, vise bien la relation entre la maladie induite par les esprits malfaisants et l’état psychologique intérieur. Le chamane fournit au malade un langage compréhensible, intelligible au processus de déblocage physiologique.
A cet égard, la médecine chamanique se place, pour moitié, entre la médecine organique, chère à notre monde occidental, et les thérapeutiques de psychanalyse. Une originalité qui dissout les résistances et les refoulements.
Le chamane a le même double rôle que le psychanalyste :
Il établit une relation immédiate avec le conscient et l’inconscient du malade, pas seulement comme thérapeute, mais aussi comme partie prenante de l’incantation. Il pénètre dans les organes menacés, il prend contact avec les esprits surnaturels et il libère l’âme captive.
Dans un rituel de guérison, le chamane s’incarne comme un objet de transfert, pour devenir le protagoniste réel du conflit, avec l’accord induit dans l’esprit du patient.
Quand le chamane introduit des substances ou des objets invisibles dans son rituel médical, il renforce son pouvoir de suggestion, il matérialise le pouvoir purificateur de sa psychanalyse.
Les gestes effectués par le chamane pendant ses opérations magiques, donnent à penser qu’il manipule des substances invisibles, soit pour les extraire du corps du patient, soit pour les insuffler.
Pour le patient, il n’y a pas de différence entre la matière invisible et la matière tangible. Ces substances invisibles constituent la matérialisation du pouvoir du chamane, comme l’écoute du psychanalyste constitue la matérialisation de son pouvoir de thérapeute. Les substances magiques, les objets pathogènes et les esprits du bien ou du mal, représentent les trois aspects de la notion fondamentale du chamanisme : le pouvoir magique.
En conséquence, cette arme magique est douée de vie et peut remplir sa mission. L’efficacité symbolique d’une séance de guérison chamanique n’a plus d’importance, puisqu’elle est par définition efficace.
Claude Levi-Strauss a sûrement pointé du doigt l’élément fondamental du chamanisme : la persuasion psychanalytique de la médecine indigène.