La littérature publiée par bon nombre d’anthropologues a décrit les chamanes comme des êtres souffrant d’instabilité psychique. Si cette conception médicale est un peu extrémiste, il est néanmoins vrai que l’exercice du chamanisme implique des pratiques extrêmes et une discipline draconienne, faite de privations et d’absorption de substances potentiellement dangereuses et qui peuvent quelquefois perturber le pratiquant.
Il n’est pas une communauté traditionnelle qui ne décrive pas le chamanisme comme une expérience psychique éprouvante. Combien de chamanes ont tout d’abord refusé l’appel surnaturel qui s’éveillait en eux ? Les Indiens Mohave croient que tout chamane en puissance qui refuse l’appel surnaturel devient fou.
Preuve que le chamanisme est une pratique respectable, peu de novice reconnaissent le désir inné d’embrasser la profession : l’apprentissage est trop difficile, les privations éprouvantes. Un vrai chamane ne pratique jamais par plaisir, mais par devoir envers sa communauté.
Parfois, ceux-là même qui ont accepté la charge chamanique, en viennent à ressentir la douloureuse pesanteur de leur mode de vie. Ils vont même jusqu’à se suicider par procuration, en devenant sorcier et en se tournant vers les forces du mal, ce qui, face leur communauté, peut susciter leur propre assassinat (lire : La face obscure du chamane).
Alors que le chamane est supposé intercéder avec les esprits pour le bien de sa communauté, il en est aussi un « élément social perturbateur ». A la fois fou et intellectuellement habile botaniste, magnifique psychologue et superbe communicateur, le chamane est à la fois craint et respecté, démuni et méprisé.
La vocation chamanique peut faire penser à plus d’un égard, à une forme de folie et d’instabilité psychique. La différence, au sens médical occidental de nos observateurs, c’est qu’un chamane est doté d’un extraordinaire pouvoir de maîtrise de son esprit en dehors des cérémonies.
C’est d’ailleurs une des qualités intrinsèques d’un bon chamane : il doit savoir quand il peut succomber à l’inspiration, laquelle confine parfois à la folie, et comment s’en préserver en dehors de ses fonctions.
Que l’appel soit héréditaire ou non, le chamane se doit d’être une personne compétente dans son ministère et accepter de marcher sur la corde raide de la folie pour mieux éprouver les esprits surnaturels.
Il est évident que la prise fréquente de psychotropes pour mieux exercer ses dons de voyances ou de guérison, amène le chamane au bord de la dépendance narcotique qui peut propulser un individu dans la folie. Les antécédents et affections diverses que le chamane a pu contracter dans sa vie, sont alors rarement pris en compte dans son psychisme.
Rétrospectivement, il paraît clair que certains chamanes sombrent parfois dans la folie. Mais il serait extrémiste de vouloir classifier tous les chamanes dans cette catégorie.
Le cœur des rituels chamaniques reste et restera un mystère pour les Occidentaux, même après des centaines d’études. Ce sentiment, fort humain, de vouloir expliquer par la folie, une pratique millénaire qui fait appel à des esprits surnaturels, à des monstres et à des forces invisibles, montre comment nos esprits cartésiens sont si peu ouverts à une nouvelle réalité culturelle.
La folie perçue du chamane n’est pas sans rappeler l’attitude des prêtres chrétiens envers certains « trublions » de la religion, qui affirmait, comme Jeanne d’Arc, avoir reçu leur appel de « saints patrons ». Le fait d’avoir sauvé la France n’empêcha pas Jeanne d’Arc d’être brûlée vive puis d’être canonisée.
Là où est la folie, flirte souvent l’incompréhension et la méconnaissance.
Affirmer qu’un chamane est un malade mental est une vision catégorique et arbitraire. Dire qu’un chamane flirte avec la folie à chaque moment de sa vie pour le bien de la communauté, est sûrement plus proche de la réalité.