Une des caractéristiques communes aux chamanes ensorceleurs et aux chamanes guérisseurs est d’attaquer à distance les ennemis ou les maladies à l’aide de fléchettes, de dards invisibles à tous ceux qui ne sont pas chamanes. Plusieurs anthropologues ont rapporté ces faits, provenant de régions aussi différentes que l’Amazonie, l’Australie ou l’Afrique.
En Amazonie équatorienne, les Indiens Jivaro restent persuadés que la majorité des maladies et des morts non violentes sont dues à la sorcellerie. Ainsi, si quelqu’un tombe malade, c’est qu’un chamane ennemi a projeté un dard magique dans le corps de sa victime pour la rendre malade ou la tuer.
Le chamane de la tribu aura donc pour tâche d’extraire par succion du corps du malade, la maladie induite par ces fléchettes magiques envoyées par le chamane ennemi.
Ainsi, le chamane devient à la fois ensorceleur en projetant ces fléchettes, qu’il appelle aussi les esprits alliés, et guérisseur en les extrayant du corps des malades.
En Afrique, dans la culture Dagara, au Burkina Fasso, les chamanes utilisent aussi un projectile invisible, qu’ils appellent le « lobir », et qui est seulement connu des sorciers.
Un « lobir » peut assumer n’importe quelle forme, le plus primitif se limitant à un objet projeté dans le corps de l’individu visé, le plus perfectionné étant une chose vivante, qu’on pourrait définir comme un ver.
Les funérailles sont l’occasion pour toutes sortes de guerres entre chamanes. Si un certain nombre d’hommes et de femmes tombent gravement malades, c’est qu’ils ont été la cible d’un ennemi. Cet ennemi se rend à l’enterrement en portant sur le dos des petits sacs en peau de félin qui contiennent l’arsenal invisible. Le contenu de ces sacs reste secret, car personne ne s’aviserait de vérifier ce qu’ils renferment. Les proches du défunt portent donc sur le dos, eux aussi, pendant l’enterrement, des petits sacs en peau d’animaux. Ces sacs sont comme une trousse de premier secours magique Dagara, afin de les protéger.
D’une manière générale, les projectiles magiques sont détenus par les chamanes qui les conservent dans leur propre organisme (estomac, poitrine, bras) et les « nourrissent », soit avec leur propre sang, soit avec de la fumée ou du jus de tabac. Les fléchettes sont alors capables de croître et de s’auto-reproduire à l’intérieur du corps.
En Amazonie, pour transmettre un projectile magique à un novice, le chamane expérimenté régurgite une substance brillante qui contient les fléchettes, il en coupe un fragment avec sa machette et le donne à avaler au novice. Celui-ci ressent une douleur aiguë quand le projectile pénètre son estomac et reste alité pendant dix jours. Plusieurs fois le chamane qui a fait don du projectile magique, frotte et souffle sur le corps du novice pour augmenter les pouvoirs.
Ensuite, le novice doit rester inactif et s’abstenir de rapports sexuels pendant trois mois, alors seulement il deviendra un chamane accompli. Au bout d’un mois, le dard sort de sa bouche, et le novice éprouve le besoin d’ensorceler : s’il l’envoi, il sera un chamane envoûteur, s’il le réingurgite et contrôle son impulsion, il deviendra un chamane guérisseur.
On ne choisit pas de faire le bien ou le mal avec les dards magiques. En Afrique, on dit que si les chamanes sont possédés par les mauvais esprits, alors voudra blesser les autres avec ses fléchettes magiques. Le monde chamanique n’est pas un univers où tout se déroule harmonieusement.
Il ressort que le caractère potentiellement pathogène des fléchettes magiques dépend des esprits qui leurs sont associés. Elles sont à la fois des projectiles et des protecteurs. Tout dépend de l’intention du chamane.