Au XVIe et XVIIe siècles, l’époque n’appréciait guère les individus qui affirmaient pouvoir communiquer avec les esprits. Difficile de savoir si les auteurs d’alors ne désavouaient pas explicitement les chamanes, par simple conviction ou par peur des représailles, avec le risque de se voir accusés d’hérésie. Les Européens croyaient que les esprits avec lesquels on pouvait entrer en communication étaient forcément démoniaques.
Bien qu’il fût un fin observateur et un esprit éclairé pour son temps, le navigateur espagnol et naturaliste Gonzalo Fernandez de Oviedo qualifia l’usage du tabac indigène, fumé dans les cérémonies par les chamanes, de « vénération du Diable ». Le pensait-il vraiment lorsqu’il l’écrivît ? Ou bien s’y sentait-il contraint ?
Un passage de la Bible dit en effet : « Tu ne laisseras pas vivre un Kashaph ». En Hébreu, le mot Kashaph signifie, magicien, devin, sorcier, ou toute personne entretenant des relations avec un esprit familier. Une bonne aubaine pour les traducteurs de la Bible de l’époque, qui interprétèrent ce mot dans le sens de, « sorcier entretenant des relations avec le Diable », et trouvèrent-là un prétexte pour exécuter une véritable chasse aux sorcières, car en Europe malheureusement, il s’agissait pour la plupart de femmes.
La chrétienté scella ce raisonnement de façon définitive, le pouvoir du Diable étant, selon elle, « si extraordinairement puissant, que quiconque avait l’audace de l’invoquer, finirait par se retrouver sous son emprise ». Ces croyances européennes conduisirent à rejeter définitivement les chamanes. Leurs préjugés étant d’autant plus inflexibles, que la plupart du temps, ce sont des hommes d’église qui voyageaient, exploraient et écrivaient sur les chamanes.
Pour la chrétienté, le chamanisme tenait, certes, ses connaissances de la Nature, mais s’éloignait de la vérité en pratiquant une magie abusive, trop pleine de curiosité. Pour les prêtres de l’époque, les secrets de la Nature étaient réservés à la seule connaissance de Dieu, et que l’homme, fût-ce t-il un chamane, veuille les connaître, était par nature un désir vicieux et une curiosité malsaine. De telles curiosités démontraient un jugement imparfait, une ignorance et une faute de foi.
Pourtant, pour certains hommes d’église, précurseurs éclairés comme le missionnaire jésuite français, Joseph François Lafitau, qui vécu au contact des Iroquois et des Hurons près de Montréal, le savoir des chamanes était plus qu’une connaissance des choses divines et humaines, plus qu’une maîtrise des plantes, des pierres, des métaux et de toutes les vertus de la nature.
Non seulement les chamanes sondaient le fond des cœurs et guérissaient les plus terribles maladies, mais ils prévoyaient l’avenir, ils lisaient dans les astres, ils faisaient un commerce intime avec les dieux, dont le reste des hommes n’était pas digne : cela impliquait une austérité de vie, une rigueur de mœurs qui les rendaient respectables aux yeux des leurs. Ils étaient alors regardés comme des Sages, qui avaient la connaissance d’un savoir réservé.
Pour les missionnaires de la chrétienté qui ont fréquenté les chamanes, la plus grande difficulté qu’ils rencontrèrent, fut la conversion des peuples « sauvages » asservis par les superstitions anciennes de leurs sorciers.
Et bien qu’aucun missionnaire ne pût apporter la preuve qu’il y avait du Démon dans les pratiques du chamanisme, ils prirent le parti, dans cette incertitude, de condamner ces superstitions, lesquelles étaient forcément mauvaises.
Longtemps, les premiers observateurs des chamanes, souvent missionnaires et influencés par la chrétienté, ont estimé cette pratique, pour ne pas dire religion, comme une imposture et une supercherie. Il faudra cinq siècles, pour que ce jugement change.